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Cette semaine, le Parlement européen doit voter sur la Politique agricole commune (PAC). Ce vote est capital puisqu’il nous engagera jusqu’en 2027. Mais les propositions de la Commission européenne et les discussions menées au sein du Conseil de l’Union européenne font craindre le pire : la nouvelle PAC pourrait être plus désastreuse encore que la précédente.
Ce constat est confirmé par les mauvais compromis trouvés in extremis au Parlement européen entre trois groupes politiques sur le rapport «Plans stratégiques» de la réforme de la PAC. Les prairies permanentes, qui stockent du carbone, seront encore moins protégées que par le passé et les surfaces minimales indispensables pour la biodiversité ne seront pas garanties. Les conditionnalités d’octroi des aides liées aux bonnes pratiques environnementales sont en recul et les nouveaux «écorégimes», censés financer l’adoption de pratiques plus vertueuses pour l’environnement, seront définis indépendamment par tous les Etats, renforçant ainsi les distorsions de concurrence au sein de l’Union européenne et ouvrant la porte à des logiques de «greenwashing» ! Enfin, aucun changement structurel n’est attendu concernant la répartition des aides : les montants alloués aux petites exploitations s’annoncent toujours aussi dérisoires et le plafonnement des aides aux grandes exploitations toujours aussi inopérant.
Pourtant, nous sommes prévenus : des milliers d’agriculteurs, de scientifiques, d’associations, d’élus et de citoyens avertissent depuis des années sur l’échec de la Politique agricole commune. Premier budget de l’Union européenne, elle représente un investissement financier conséquent de près de 350 milliards d’euros sur sept ans. Mais elle ne permet pas aux agriculteurs de vivre dignement : un agriculteur se suicide tous les deux jours en France et le manque de renouvellement des générations en réduit le nombre à un rythme dramatique.
Elle n’est pas non plus efficace pour faire face au changement climatique : alors que 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France sont dues à l’agriculture et alors que les effets du changement climatique (sécheresses, inondations…) frappent d’abord les agriculteurs, les émissions de l’agriculture n’ont pas diminué depuis 2005. De plus la PAC entretient un modèle responsable de l’effondrement de la biodiversité, de la dégradation des sols et des pollutions de l’eau comme de l’air.
Ce modèle est également à l’origine de la souffrance institutionnalisée de centaines de millions d’animaux, contre laquelle la société se lève, comme en témoigne le succès de l’Initiative citoyenne européenne pour la fin de l’élevage en cage.
Pour finir, il sape notre souveraineté alimentaire en maintenant notre dépendance aux importations (sur les protéines, sur les produits bio…). Il nous soumet à un dumping qui pousse à des prix qui ne couvrent pas les coûts de production et subventionne les exportations au détriment des agricultures des pays du Sud. Il n’assure même pas l’accès à une alimentation saine de l’ensemble de la population : 25 % des Français souffrent de restrictions alimentaires selon le Secours populaire alors que, dans le même temps, près de 20 % de la production totale est gaspillée.
Dans 10 ans il sera trop tard pour les paysans, la biodiversité et le climat. Nous, parlementaires européens, avons donc une responsabilité historique. Un an après le vote par le Parlement européen de l’état d’urgence climatique et environnemental, nous pouvons mettre en cohérence les paroles et les actes. En rejetant ce modèle, nous créerons un électrochoc et permettrons que s’ouvrent de nouvelles discussions pour une PAC enfin à la hauteur de la situation.
Celle-ci sortirait l’agriculture du modèle du libre-échange, en régulant les marchés pour aider les femmes et les hommes qui travaillent à retrouver un prix juste pour leurs produits et pour permettre à l’Europe d’atteindre sa souveraineté alimentaire. Elle développerait massivement les circuits courts comme outil central du développement rural. Elle s’appuierait sur une autre répartition des aides captées aujourd’hui par les très grandes exploitations au détriment des plus petites. Elle ferait de l’agriculture un véritable vivier d’emplois décents, durables et non délocalisables. Elle consacrerait une part massive de son budget à accompagner les paysans et les paysannes dans la transition agroécologique et refuserait de continuer à financer un modèle d’élevage industriel désastreux pour la planète et pour les animaux. Elle mettrait en place une conditionnalité sociale pour améliorer les conditions de vie des travailleurs agricoles. Elle renforcerait réellement la conditionnalité environnementale, en introduisant par exemple une obligation de rotation des cultures longues et en consacrant des espaces indispensables pour la biodiversité. Elle s’alignerait enfin sur les objectifs affichés par la Commission européenne en matière de pesticides (au moins 50 % de réduction d’ici à 2030), dans le développement de l’agriculture biologique (au moins 25 % de surfaces en agriculture biologique d’ici à 2030) ou dans le renforcement du soutien aux productions végétales pour l’alimentation humaine. Il y a tant à faire.
A quelques heures de ce vote, nous lançons donc un appel solennel : rejetons le projet de Politique agricole commune pour inventer le modèle agricole européen de demain !
Manuel Bompard, président de la délégation France insoumise au Parlement européen, membre de la commission de l’agriculture
Benoît Biteau, eurodéputé Europe Ecologie et membre de la commission de l’agriculture
Eric Andrieu, eurodéputé socialiste et membre de la commission de l’agriculture, rapporteur sur le règlement OCM
Manon Aubry, coprésidente du groupe de la Gauche unitaire européenne
Raphaël Glücksmann, eurodéputé Place publique
David Cormand et Michèle Rivasi, coprésident·e·s de la délégation Europe Ecologie
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