L’annonce de la création de la “superleague” a provoqué une colère sans précédent partout en Europe contre cette dérive de trop du foot business. Ce projet, qui a heureusement capoté en quelques heures grâce à la pression des supporters, symbolise des décennies de dérive transformant le foot en simple machine à cash. Où comme ailleurs, les logiques de l’argent dominent les logiques des gens. Et éloignent notre sport de ses racines populaires.
La popularité du foot est liée à sa dimension universelle, à la possibilité que les petits y battent parfois les gros, aux belles histoires de David contre Goliath qui font vibrer tout un stade. Les amateurs se souviennent encore de la coupe de France 2000 où Calais, club amateur de 4ème division, avait réussi à se hisser en finale à la surprise générale. La Super League était la négation totale de cet esprit, poussant jusqu’à l’absurde la loi du profit au mépris de toutes les valeurs sportives. Leur idée brillante : créer une communauté fermée de clubs séparatistes privilégiés s’accordant pour accumuler entre eux le max de fric. Et tant pis pour les autres…
Tout ça n’est bien sûr qu’une histoire de gros sous : les clubs concernés avaient pour principal objectif d’encaisser 350 millions d’euros grâce au soutien généreux (pour l’amour du sport bien sûr) de la banque JP Morgan qui devait contribuer à hauteur de 5 milliards d’euros. La touche finale du cercle vicieux qui pourrit de plus en plus le foot avec les budgets des gros clubs qui explosent en même temps que les droits télé, les salaires des joueurs et les montants des transferts. Un système qui ne bénéficie qu’à une poignée d’investisseurs et dont le ruissellement tant promis vers les petits clubs et le monde amateur n’a bien sûr jamais eu lieu. Tiens, ça nous rappelle la suppression de l’ISF….
Sauf que ces messieurs ne s’attendaient pas à une levée de boucliers aussi intense, aux cris du cœur des joueurs, des supporters, de toutes celles et ceux qui veulent des tournois dans lesquels seule la performance sportive compte. Bref, tous ceux qui, comme nous, aiment le sport. Juste le sport. Pas la valorisation financière du club. Le mouvement de résistance populaire face à cette ligue de riches a été massif, entraînant un rétropédalage dès le lendemain d’une grande partie des clubs impliqués. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les supporters mettent en échec des décisions venant d’en haut. On se souvient du changement de stade ou de nom du PSG, que les nouveaux propriétaires qataris avaient tenté d’imposer sans succès. Cela doit nous donner espoir pour les luttes à venir, au-delà du monde du sport. Nos dirigeants cupides voudront toujours nous imposer une logique qui profite aux plus fortunés. Mais parfois, la mobilisation paye et la force du nombre permet d’inverser le cours de l’Histoire !
L’affaire de la Super League et l’émotion qu’elle a suscitée fait également écho aux débats sur la coupe du monde 2022. La FIFA, qui semblait vent debout contre la Super League au nom (soi-disant) des valeurs du sport, est en revanche bien silencieuse devant les horribles violations des droits de l’homme liées à la construction des infrastructures pour la coupe du monde au Qatar. L’attribution dans des conditions douteuses, pour ne pas dire mafieuses, de cette coupe du monde ne présageait rien de bon. Les enquêtes des ONG et des journalistes le confirment et dévoilent une situation encore plus terrible. Des dizaines de milliers de travailleurs immigrés exploités sous la forme d’esclaves modernes. Des passeports confisqués. Des syndicats interdits. Des conditions de travail inhumaines, sous une chaleur suffocante ou dans des souterrains sans air. Au moins 6750 morts dans un dernier décompte morbide qui risque malheureusement de s’aggraver encore dans les mois à venir. Et parmi les responsables, on retrouve notamment l’entreprise française Vinci.
La Super League voulait réduire le foot à une réunion non mixte de milliardaires. La Coupe du monde de la FIFA poussera encore plus loin les limites de l’indécence en proposant de jouer sur des cadavres. Dans les deux cas, l’opposition massive de celles et ceux qui aiment le sport et dont je fais partie donne malgré tout espoir. Dans nos clubs, dans nos équipes, dans nos matchs, nous ne voulons pas de ça. Joueuse de water-polo et passée par le sport-études, le sport est pour moi comme pour beaucoup une philosophie autant qu’un dépassement de soi. Ce slogan de supporters rappelle parfaitement le problème actuel du foot (et de beaucoup trop de sports). “Créé par les pauvres, volé par les riches”. Et si on se le réappropriait enfin ?