L’Union Européenne aurait un plan contre l’évasion fiscale : vraiment ?

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15 scandales d’évasion fiscale plus tard, alors que l’ampleur de la crise sociale exige des investissements publics massifs et que la fortune des milliardaires explose, la Commission européenne publie une énième feuille de route de lutte contre l’évasion fiscale. Et pourtant rien de neuf sous la grisaille bruxelloise. L’Union européenne serait-elle dans l’impasse ?

Le moment est pourtant propice à une révolution fiscale. La question de la justice fiscale, à la faveur notamment du mouvement des gilets jaunes en France, était déjà à l’agenda du débat public. L’enrichissement sordide de quelques milliardaires et multinationales pendant la crise l’a rendue incontournable. Nos besoins de financement sont immenses. Il s’agit de reconstruire notre service public de santé, de venir en aide aux millions de personnes qui ont basculé dans la pauvreté, de soutenir les PME et les plus précaires pour éviter un nouveau massacre social. 

Dans ce contexte, une communication de la Commission sur la fiscalité des entreprises aurait dû être l’occasion de tirer les premières leçons de la crise. A la place, elle nous présente un best-of de ses meilleures recettes éculées. Et ça commence dès son analyse du contexte. Son premier constat : on taxe trop le travail, comprenez, les cotisations qui financent notre sécu et nos retraites. Une idée super originale, défendue par le MEDEF, qui a donné le CICE et a surtout augmenté les inégalités, sans impact sur l’emploi et la production de richesses. Deuxième constat : les entreprises sont entravées dans leur développement par la diversité des régimes fiscaux au niveau européen. Étrange affirmation quand on sait qu’elles tirent justement profit de cette concurrence fiscale au niveau européen. Une course aux impôts les plus faibles qui a conduit les taux d’imposition des grandes entreprises à être divisés par deux depuis les années 80 pendant que les taxes injustes comme la TVA payées en plus forte proportion par les gens les plus pauvres n’ont cessé d’augmenter.

C’est sur la base de ces constats révolutionnaires que la Commission fait une série de propositions, dont certaines vont dans le bon sens (comme une régulation sur les sociétés écran) et d’autres avaient déjà été annoncées (la taxe sur le numérique). Mais l’ensemble reste surtout très limité, notamment pour les deux mesures présentées comme “phares”. La première consiste à annoncer un texte pour imposer la publication des taux d’impôt effectif payés par les entreprises. Une mesure bienvenue, mais déjà contenue dans un autre texte plus large de transparence fiscale, le reporting pays par pays public, que la Commission semble étrangement oublier. Un texte sur lequel je me bats depuis des années et notamment bloqué par la France… qui copie-colle sa position sur celle du MEDEF comme je vous l’avais révélé il y a quelques semaines. Deuxième grande mesure (roulement de tambour…) : l’harmonisation fiscale sur les entreprises ! Vous savez, ce vieux serpent de mer mis au placard depuis des décennies devant l’opposition des paradis fiscaux européens. Et là, la Commission a l’idée merveilleuse de reproposer la même chose en changeant l’acronyme (exit ACCIS, bonjour BEFIT… seule l’UE a le secret de tels acronymes ! 😉 ). Mais sans donner de précision bien évidemment  sur la manière de  dépasser les blocages. 

Sur le fond, pas grand chose de nouveau donc. Sur la forme, un oubli impardonnable. De toute sa feuille de route, pas une fois la Commission n’utilise le terme “paradis fiscal”.  C’est vrai qu’ils ne jouent aucun rôle dans l’évasion fiscale… C’est tout juste si elle mentionne les “régimes fiscaux nationaux” d’Etats membres de l’Union européenne, qui entraînent des “pertes de revenus” pour d’autres Etats. Mais pas un mot bien sûr sur le cœur du problème : les paradis fiscaux européens. Quand de l’autre côté de l’Atlantique, Joe Biden augmente l’impôt sur les sociétés, supprime des niches fiscales et s’attaque aux fausses domiciliations à l’étranger, la Commission publie des communiqués édulcorés qui rechignent même à désigner le problème. 

Au-delà du ton, le problème de l’action de la Commission en matière fiscale est plus profond. Quelle que soit la nature des mesures qu’elle peut proposer, la Commission n’inquiète personne. Car les institutions européennes sont bien impuissantes sur le plan fiscal. Les paradis fiscaux européens “dont il ne faut pas prononcer le nom” sont bien réels  et bloquent toute mesure de progrès fiscal au Conseil européen puisqu’en la matière, les décisions se prennent à l’unanimité. La directive épargne sur l’échange d’information a été bloquée par le seul Luxembourg. La taxe GAFA a été refusée par seulement 4 États. La taxe européenne sur les transactions financières, par 6 Etats. Quel intérêt auraient ces Etats à faire des compromis, puisqu’ils disposent d’un droit de veto sur toutes les initiatives d’harmonisation fiscale ? 

Face au blocage récurrent de ces propositions par quelques Etats, la Commission européenne pourrait donc se retrouver contrainte à  l’harmonisation par le bas. Si on ne peut pas se mettre d’accord sur une mesure de progrès social, peut-être le pourra-t-on en s’alignant sur le plus petit dénominateur commun. A ce jeu là, on règle certes le problème des distorsions de concurrence qui obsèdent la Commission, mais on sacrifie surtout durablement la capacité des Etats à se financer et tout espoir de redistribution des richesses. Ainsi, si BEFIT, la nouvelle proposition d’harmonisation d’impôt sur les sociétés, est sur le papier en tout point semblable à la précédente, la spécificité du mode de décision européen en matière fiscale doit nous inviter à la plus grande méfiance. Quel argument inédit la Commission compte avancer pour convaincre les États d’avancer sur ce dossier ? Si ce n’est de revoir ses ambitions à la baisse ?

L’Union européenne est aujourd’hui dans une impasse. Malgré le volontarisme (d’affichage) de la Commission et la mobilisation des eurodéputés, il serait bien naïf d’attendre que les 27 Etats membres se mettent d’accord pour agir ensemble contre l’évasion fiscale. Pour débloquer la situation, il faut que des Etats assument de prendre des mesures unilatérales contre les pilleurs fiscaux. C’est pour cela que l’Avenir en commun envisage des mesures de rétorsion commerciale contre les paradis fiscaux, une transparence fiscale obligatoire pour les entreprises qui opèrent en France, ou encore un impôt universel pour cibler les ultra-riches qui se domicilient à l’étranger ou les multinationales qui délocalisent leurs profits dans des paradis fiscaux.

Si l’Union européenne, paralysée par le blocage des paradis fiscaux en son sein, se révèle incapable de mettre en œuvre ces mesures indispensables de lutte contre l’évasion fiscale, alors rien n’empêche (souvent dans le cadre des  traités européens et en assumant parfois de désobéir à certaines règles) un Etat comme la France de les mettre en œuvre de manière unilatérale. Au contraire, cela est peut-être la seule chance de renverser la dynamique de course à la concurrence fiscale dans laquelle s’est engagée l’Union européenne depuis plusieurs dizaines d’années, et d’y associer par la suite d’autres États européens. Il est de temps de sortir des postures pro ou anti-européennes qui cristallisent le débat et empêchent de penser de manière pratique une politique ambitieuse de lutte contre l’évasion fiscale. C’est ce que nous proposerons pour 2022. Et comptez sur moi pour ne jamais renoncer !

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