Nous allons prendre des actes forts en faveur d’un Pacte des îles

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A l’occasion d’un webinaire organisé par le bureau du Parlement européen à Marseille, Younous Omarjee a été interviewé par Thierry Pardi, Rédacteur en chef du Magazine « Les Carnets de Mediterraneo », diffusé par France Télévisions. La retranscription intégrale figure ci-dessous.

Le webinaire est visionnable en intégralité ici.

L’UE prend-t-elle suffisamment en compte l’insularité ? Le fait insulaire ?

La question insulaire est, je le crois, une question qui sera parmi les plus importantes de cette législature pour la politique régionale. En tous cas, je le souhaite, et tous les députés ici présents agissent en ce sens. Pourquoi le faisons-nous ? Tout simplement parce que nous considérons qu’il y a une sous-estimation de l’insularité dans les politiques européennes.

C’est une question d’ordre mondial et absolument stratégique pour l’UE. Le monde est un monde d’île. Lorsque l’on pose la question aux gens : est-ce que vous savez combien d’îles il y a sur la planète ? Souvent les gens ne savent pas répondre. De la grande Australie au plus petit atoll, c’est à peu près 300 000 îles. Pour l’UE, c’est environ 286 territoires insulaires selon la Commission européenne, parmi lesquelles 188 territoires archipélagiques, et 98 territoires insulaires isolés. Et tous ont des points d’unités, que vous avez rappelé dans votre introduction ; c’est-à-dire qu’ils sont souvent éloignés du continent, du marché, avec une étroitesse du marché, un certain nombre de handicaps structurels. Or les territoires insulaires, ce sont aussi des atouts considérables, pour les territoires insulaires eux-mêmes, mais aussi pour toute l’UE. Et j’espère que nous pourrons parler également de ces défis, que sont les défis climatique, énergétique, et de la sauvegarde de la biodiversité. 

Pour conclure sur cette question, je veux dire que les régions ultrapériphériques (RUP) sont aujourd’hui bien prises en comptes dans les politiques européennes. Et la dernière législature, au niveau du Parlement européen, a permit de consolider la place des RUP dans les règlements. Dans les dernières négociations qui se sont achevées sur la cohésion, nous avons quasiment obtenu toutes les dérogations que nous souhaitions dans les règlements, pour que soit pris en compte le caractère adapté de ces politiques.

En revanche, pour les îles qui ne sont pas classées comme RUP, nous avons encore un champ de travail considérable. Elles sont définies dans le TFUE, à l’article 174. Et nous devons aujourd’hui, commencer une action extrêmement offensive pour que dans les règlements l’on retrouve la nécessaire prise en compte de politiques dérogatoires et adaptées à leurs situations. Si les îles sont des atouts, elles sont aussi fragiles, et donc il faut prendre en compte ces caractéristiques particulières.

Je souhaiterais revenir sur les RUP. Comment ce sentiment européen et insulaire est reçu par les habitants de la Réunion ? Quel est le sentiment des citoyens vis-à-vis des institutions européennes et de la prise en compte de la spécificité d’une île éloignée comme la Réunion ? Comment vivez-vous vous-même cette spécificité ? Et quelles sont les difficultés supplémentaires que vous avez à parfois subir en tant que parlementaire européen ? 

Ce que l’on voit, c’est qu’il y a ce sentiment que les RUP bénéficient – à peu de choses près – de l’ensemble des dérogations qu’elles souhaitent, de budgets spécifiques, et qu’à contrario les îles européennes sont extrêmement en retard sur la reconnaissance de leurs particularités. Il me semble éminemment important de faire vivre, non pas une concurrence entre les régions ultrapériphériques et les régions insulaires, mais un véritable front des îles. C’est pourquoi je fais partie de ceux – bien que venant d’une RUP – qui défend de manière extrêmement forte la prise en compte de l’ensemble des demandes qui sont aujourd’hui formulées par les îles. Je veux dire à mes collègues que, la Commission du développement régional prendra des initiatives pour, précisément, viser ce que notre collègue Cutajar disait, c’est-à-dire que l’on puisse aller vers un pacte pour les îles. Cela est très important et nous prendrons dans les semaines et les mois à venir une série d’initiatives en direction de la Commission européenne. 

Pour revenir à votre question qui concernait le sentiment d’appartenance. C’est une question habituelle. Je suis plus qu’inquiet par les différents résultats électoraux lors des dernières européennes puisque vous voyez partout dans les outremers une progression importante de l’extrême-droite. Ce sont des territoires au sein desquelles vous avez une conscience, je crois, de ce que les politiques européennes apportent au développement économique dans de nombreux secteurs. Mais en même temps, il y a une colère très forte, très grande vis-à-vis des institutions européennes pour différentes raisons. Et bien sûr il y a l’éloignement à prendre en considération. C’est une question compliquée à laquelle nous ne pouvons répondre de manière manichéenne. Les choses sont subtiles, il y a à la fois un sentiment d’appartenance à l’ensemble européen et en même temps une défiance importante de l’Europe. Il importe de dire également que lorsque vous vous trouvez dans la Caraïbe, ou dans l’océan Indien, vous avez d’autres appartenances qui doivent pouvoir être vécues pleinement. A la Réunion, nous sommes aussi des Africains, des Indiens océaniques, nous avons des relations très forte avec l’Inde, et avec la Chine. Donc évidemment le rapport à l’UE n’est pas le même que celui d’un Bulgare ou d’un Polonais. 

Dans le cadre de la coopération régionale et interrégionale, est-ce que vous pensez que la dimension insulaire est suffisamment prise en compte par les institutions européennes ? Pensez-vous qu’il faut aller beaucoup plus loin dans ce domaine ? Vous avez déjà des accords de coopération avec d’autres territoires dans votre région.

Non, cette dimension est très insuffisamment prise en compte. Je crois que ce qui a été obtenu pour les RUP, avec l’article 349, d’une certaine manière annonce ce qui doit être fait pour l’ensemble des régions insulaires d’Europe.

Pouvez-vous préciser l’article 349 ?

L’article 349 du Traité de fonctionnement de l’EU permet d’avoir des politiques véritablement dérogatoires, c’est-à-dire adaptées aux caractéristiques particulières de ces régions ultra-périphériques, qui sont marquées par l’insularité, le grand éloignement, par des handicaps structurels permanent liés à l’étroitesse de leurs marchés, etc. A partir de là, l’UE autorise des politiques dérogatoires : en matière de politique régionale mais pas seulement, aussi en matière de politique commune des pêches, ou encore en matière de politique agricole. Il y a également des enveloppes spécifiques. 

Mais la réalité c’est que, malgré l’existence de cet article, du fort soutien du Conseil et du Parlement européen pour la bonne mise en œuvre de l’article 349, la Commission européenne, quant à elle, reste très réticente pour que cet article puisse avoir un champ d’application aussi large et dynamique que possible. Et nous devons nous battre en permanence contre des reculs, ou tout simplement pour que la Commission européenne accepte de faire application de cet article. Et c’est pourquoi, nous ne sommes pas du tout surpris que la Commission européenne soit aussi peu enclin à faire vivre l’article 174 du TFUE, et accompagne si mal le Parlement européen dans la volonté d’aujourd’hui de faire en sorte que les îles puissent également – et particulièrement dans ce temps de crise de Covid-19 – bénéficier de l’ensemble de politiques dérogatoires nécessaires.

Mais ce que nous voyons, c’est que la politique régionale, est une politique qui ne peut plus, qui ne doit pas être uniforme. C’est une politique qui doit, comme le disait la Commissaire Ferreira au début de cette législature, « viser le sur-mesure ». Les enjeux dans les régions montagneuses par exemple, ou les régions confrontées à des problèmes démographiques considérables, ou les particularités dans les zones rurales, ou les particularités dans les zones ultra-urbanisées, ou encore les particularités dans les régions insulaires, font qu’il faut forcément imaginer des politiques qui soient les plus précisément adaptées à ces réalités. Et c’est la raison pour laquelle, l’avenir pour la politique régionale est d’être le plus en lien avec ces réalités. 

Pour ce qui concerne la prise en compte de la dimension internationale et mondiale, il y a une sous-estimation tout à fait considérable, malgré ce qui peut exister, tels que les programmes Interreg, etc. L’UE ne tire pas, pour elle-même d’ailleurs, le plein avantage d’avoir sa présence dans l’ensemble du monde. Et on le voit bien dans la négociation des accords de partenariat économique (APE) combien les régions ultrapériphériques sont laissées de côtés et ne sont pas associées à la bonne définition de ces accords. Il y a donc une sous-estimation, qui est en réalité assez grave, de ce que les îles et les RUP peuvent apporter pour la politique internationale de l’UE. 

Pour conclure je veux dire une chose, c’est que lorsqu’il y a autant d’insuffisances dans les politiques, il appartient au Parlement européen de créer l’impulsion. Et c’est ce que nous avons fait pour les RUP dans différents règlements. Ces succès existent car le Parlement européen a été à l’offensive. Le Parlement et la Commission REGI sont aujourd’hui au début d’une nouvelle offensive pour la prise en compte des îles dans les politiques européennes. Et je crois que la Commission européenne commence, comme l’a dit mon collègue François Alfonsi, à être plus ouverte, plus à l’écoute sur les demandes que nous formulons. Et nous avons décidé, en tous cas c’est ce que je proposerai, une forme d’agenda visant un certain nombre d’objectifs pour aller vers la pleine reconnaissance des îles dans les politiques européennes.

Enfin, je voudrais dire que RUP et îles non RUP, doivent être envisagées dans un grand tout, parce que vous avez énormément de programmes qui peuvent être pensés en commun. Je pense notamment aux questions écologiques, aux questions liées à la vulcanologie, aux questions océaniques, aux questions maritimes, aux questions de transports. Ce sont des points d’unité quelque soit le statut juridique. Et il est possible de construire de grands programmes qui permettent de lier régions insulaires strictement et régions ultrapériphériques. C’est l’objectif que nous visons. 

En tant que Président de la Commission du Développement Régional, vous avez un moyen de pression pour peser face aux institutions européennes. Quel est votre sentiment par rapport au Plan de relance « Next Generation » et les différents plans de relance nationaux vis-à-vis des territoires insulaires ?

Nous avons plus qu’un moyen de pression, nous avons une réelle capacité d’action. Concernant la crise du Covid-19, au plus fort de cette crise, c’est notre Commission du Développement Régional avec la Commission européenne qui ont mis sur la table ce que l’on a appelé les règlements CRII et CRII+, et le règlement REACT-EU. Ce dernier règlement peut être considéré comme un élément de la relance, puisqu’il a bénéficié à l’ensemble des régions européennes et en particulier aux RUP et aux régions insulaires. Ces différents règlements ont été utiles pour faire face aux urgences dans le moment de la crise. Je veux rappeler, parce que nous parlons des questions insulaires, que les RUP sont des régions insulaires. Lorsque l’on évoque l’insularité on parle également des RUP. Et dans le règlement REACT-EU, nous avons obtenu des dispositions spécifiques pour les RUP.

Mais la grande question concernant le plan de relance, qui est puisement doté et qui vient en additionalité des règlements, des fonds traditionnels de l’UE, c’est que des libertés importantes sont laissées aux Etats. Il appartient aux Etats de définir leur plan national de relance, et ce n’est pas à la Commission européenne, ni au Parlement européen que l’on définit dans le détail ces plans. Ce que nous n’avons cessé de dire au niveau de la Commission REGI, c’est que les Etats doivent associer au maximum – cela ne concerne d’ailleurs pas seulement les îles – les régions et les municipalités dans la définition des plans nationaux de relance. Et nous avons demandé à la Commission européenne, c’est-à-dire à la Commissaire Ferreira, au Commissaire Gentiloni, mais aussi à la Présidente Von der Leyen, que la Commission européenne soit au plus près des Etats. A la fois veiller que ce qui a été voulu par le Parlement européen soit respecté dans les différents objectifs stratégiques. Et que la Commission européenne fasse en sorte que les Etats associent au maximum les autorités des régions insulaires lorsqu’il s’agit d’Etats qui comptent des îles. 

Nous avons évoqué la question du tourisme, c’est une question extrêmement importante. Au niveau de la Commission du Développement régional, nous travaillons avec la Commission Transport qui est compétente sur cette question du tourisme, afin de voir comment, peut-être dans l’année qui vient, la Commission européenne pourrait mettre sur la table quelque chose de spécifique. Les îles sont les plus vulnérables par rapport à la fragilité des transports dans ce moment de crise mais aussi dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration. Dans les îles, il y a très peu de pilier pour l’économie, souvent les îles sont mono-sectoriel. Ainsi le tourisme, qui est le principal pilier de l’économie des îles européennes, est aujourd’hui en train de s’effondrer dans un certain nombre de territoires insulaires en Europe.

Nous ne pouvons pas rester les bras croisés à regarder. Il faut continuer à amplifier les efforts qui ont commencés à être accomplis. Nous devons nous fixer comme perspective, puisqu’on a parlé de stratégie et que nous avons des collègues espagnoles qui participent à notre discussion, la perspective de la présidence espagnole de l’UE qui va intervenir en 2023. En 2022, nous aurons la présidence française de l’UE avec je l’espère des initiatives intéressantes pour les RUP. Nous travaillerons toute l’année 2022 pour consolider un agenda pour les îles, qui je l’espère pourra être un contenu utile pour la présidence espagnole de 2023. J’ai rencontré le Secrétaire d’Etat espagnol en charge de l’UE, M. Juan Gonzales-Barba, et je pense que du côté de la Commission nous devons continuer à faire des propositions cette année. J’espère que durant cette législature nous aurons un certain nombre d’avancées pour ce qui fait l’objet de notre discussion : à savoir la pleine reconnaissance des îles dans les politiques européennes. 

Un dernier mot pour conclure notre discussion en donnant votre souhait principal pour les temps à venir ? 

Tout d’abord nous devons continuer à nous battre pour la pleine prise en compte des RUP avec l’article 349 du TFUE. Nous rencontrons toujours, avec cet article 349, beaucoup de difficultés pour que la Commission européenne lui donne le champ d’application qu’il mérite. Mais la Commission européenne n’est pas seule. Elle est contrôlée, encadrée dans son action et elle peut être aussi censurée. S’agissant de l’article 349, la Cour de justice de l’UE a rappelé pleinement, combien la Commission européenne devait faire application de cet article. Mais ce combat est devant nous, ce combat continu.

Et pour les îles qui ne sont pas des RUP, nous sommes aujourd’hui dans un moment fondateur. Il y a des initiatives politiques très fortes qui sont en train d’émerger. Au niveau du Parlement européen, ce que je peux dire à mes collègues dont certains sont membres de la Commission REGI et à tous les participants, c’est que la Commission du Développement régional va prendre actes forts en faveur d’un pacte. Peut-être des Baléares, je l’espère, un pacte des îles en tous cas pour l’année 2023, et qui va permettre d’avoir un véritable agenda, pour faciliter l’introduction dans les règlements ad hoc de l’UE, dans les règlements que nous négocions pour les sept années de programmation, une meilleure prise en compte et reconnaissance des îles. Voilà le cadre général qui est devant nous, et dans ce moment de crise, je tiens à dire que nous continuerons d’agir comme nous l’avons fait, pour tempérer dans toutes les îles, et dans toutes les RUP les impacts de cette pandémie et crise économique. 

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