Accord final aujourd’hui au niveau européen sur la Politique agricole commune 2023-27 : c’est la réforme de la honte. Elle ne permettra ni d’enrayer la disparition des paysans, ni l’extinction de la biodiversité. Elle met gravement en danger l’atteinte de nos objectifs climatiques.
La responsabilité du gouvernement français est très lourde dans cet échec. Il a poussé jusqu’au bout pour affaiblir les exigences environnementales de base dans le cadre de la conditionnalité. Il est urgent d’arracher la PAC des mains des lobbys de l’agro-industrie. L’élection présidentielle, mais aussi les élections régionales, en seront l’occasion.
L’accord trouvé aujourd’hui marque la conclusion de 3 années de négociations. 3 ans pour un désastre qui se chiffre à 270 milliards d’euros et qui nous engage jusqu’en 2027, alors que la décennie qui vient est décisive en termes de renouvellement des générations, de lutte contre le changement climatique et contre l’extinction de la biodiversité. Nous n’avons pas de temps à perdre. Dans dix ans, il sera trop tard pour des milliers d’agriculteurs et de fermes qui disparaissent chaque jour, pour la biodiversité, ou pour atteindre nos objectifs climatiques. Et notre souveraineté alimentaire est en jeu.
Cette réforme est une trahison pour l’agriculture écologique et paysanne dont nous avons besoin et pour les attentes clairement exprimées des citoyens. Les négociateurs ont été incapables de prendre le tournant agro-écologique dont nous avons besoin. Ils ont été également incapables de relever le défi d’une PAC plus juste. Incapables enfin de répondre aux attentes en matière de bien-être animal. Le résultat est également un accord d’une abominable complexité, loin de la simplification promise.
L’un des enjeux majeurs des ces dernières semaines de négociations concernait l’architecture verte, c’est-à-dire la dimension environnementale de la PAC. C’est un renoncement écologique sur toute la ligne : conditionnalité environnementale des aides faible, éco-régimes insuffisamment robustes, exigences environnementales du second pilier en dessous du status quo réel, alignement avec le Pacte Vert remis aux calendes grecques alors que nous faisons face dès aujourd’hui à l’urgence climatique et environnementale.
Avec 10% de paiement redistributif (incluant des dérogations) l’accord trouvé sur la redistribution des aides vers les petites et moyennes exploitations est très faible et se traduira par le status quo en France. Pas de plafonnement obligatoire des aides non plus.
Un mois après le plus grand procès du travail détaché dans l’agriculture en France, les négociateurs s’accordent sur une conditionnalité sociale au rabais. La conditionnalité sociale, c’est-à-dire le fait de lier le versement des subventions à l’obligation de respecter la législation du travail, constitue une victoire de principe importante de cette réforme : mais son champs d’application demeure très limité (n’incluant ni la directive sur la libre circulation des travailleurs, ni celle sur le travail détaché), son système de sanction reste trop faible et elle ne sera mise en œuvre, sans justification solide, qu’en 2025.
Pour l’amélioration du bien-être animal, il y a quasiment 0 garantie. Sur la sortie de l’élevage intensif : à peu près 0 perspective. La déclinaison française de la PAC, le plan stratégique national, qui ne prévoit rien pour cela, en témoigne.
La régulation du marché, qui garantisse des prix rémunérateurs pour les agriculteurs, reste la grande absente du tableau. Nous nous félicitons néanmoins du maintien du budget du POSEI pour les régions ultra-périphériques et de certaines dérogations importantes pour La Réunion dans l’Organisation commune des marchés.
Pour l’heure, la principale préoccupation des négociateurs est de parfaire leur greenwashing de nous vendre « une PAC plus verte et plus juste, au service de la sécurité alimentaire du continent». Ils cherchent à faire passer des sauts de puce incohérents pour la transformation de fond dont nous avons besoin.
On a l’impression d’être dans le film « Un jour sans fin », de revivre un épisode déjà connu : c’étaient déjà les mêmes mots employés en 2014 pour vendre la dernière réforme. Et déjà les mêmes critiques, les mêmes avertissements qui se sont confirmés année après année.
Ce résultat n’est pas une surprise pour nous. Les négociations finales entre le Parlement européen et le Conseil reposaient sur des positions déjà gravement insuffisantes. A l’automne dernier, nous avions dénoncé la faillite du Parlement européen sur la PAC.
Et le greenwashing part de très loin. Cette semaine encore la Cour des comptes le soulignait : la PAC actuelle (2014-2020), ce sont 50% des dépenses labelisées « action climatique » de l’UE… pour 0 réduction d’émissions en 10 ans. 100 milliards : 100 % greenwashing !
Cette réforme a aussi souligné d’immenses failles démocratiques. Les négociations qui se déroulent à huis clos, à l’abri des regards. La négociatrice en chef du Conseil qui rencontre le principal lobby de l’agroindustrie plusieurs fois au cours des dernières séances de négociations, pour réentendre une plaidoirie caricaturale en faveur « d’un maximum d’aides à l’hectare, et un minimum de budget pour l’agroécologie».
Pendant ce temps, ONGs environnementales et petits agriculteurs, qui alertent sur la catastrophe, sont laissés à la porte.
La lutte continue, aux côtés des mobilisations à venir ! Il reste de nombreux combats à mener au niveau national et européen ! Mais cette PAC est une grave occasion manquée dont les conséquences vont nous poursuivre. Elle pointe plus que jamais les incohérences entre le « Green Deal » affiché et la réalité.