“Jamais nous n’avons enfermé ou tué autant d’animaux qu’aujourd’hui en France, dans des conditions souvent épouvantables”. Voici les mots qui ouvrent une tribune publiée hier dans le journal Le Monde, sous l’impulsion de 28 ONG qui alertent sur la situation dramatique du traitement humain sur les animaux. Même si le sujet de la condition animale a fait irruption sur la scène politique ces dernières années, il est encore très souvent relégué au rang de problème secondaire et non déterminant.
En cette journée internationale des droits des animaux, notre délégation souhaite rappeler que, dans son combat pour une société en harmonie avec la nature, notre relation avec les animaux doit être fondamentalement repensée. Si certains peuples autochtones, protecteurs de la nature, ont trouvé le moyen d’une cohabitation respectueuse, la majorité des sociétés humaines exercent un rapport de domination sur les animaux extrême, irrespectueux et violent. Pourtant, la bifurcation écologique qu’il nous faut engager urgemment ne peut se faire sans refonder totalement la relation humaine et animale.
Le modèle de l’agro-industrie doit prendre fin
Méga-fermes où s’entassent des milliers de vaches, poules pondeuses enfermées par dizaines dans des cages trop petites, une vie entière sans voir la lumière du jour… Dans la course à la surproduction et à la surconsommation de viande, l’humain est entré dans une spirale de violence insupportable dans son modèle d’élevage. Moins d’espace mais toujours plus de bêtes, une nourriture de qualité médiocre, une fin de vie dans la douleur… les patrons de l’agro-industrie ne lésinent pas sur les moyens pour faire des bénéfices partout, ce qui engendre une violence envers les animaux toujours plus forte.
C’est d’ailleurs pour s’opposer à ce modèle que notre délégation, via le combat de Manuel Bompard, membre de la commission de l’agriculture, s’est fermement opposée à la nouvelle Politique agricole Commune de l’Union européenne. Si ces dirigeants scandent à tout va que l’écologie est leur priorité absolue, il n’en est rien dans les faits : la nouvelle PAC dont le budget est massif propose des subventions aux agriculteurs en fonction du nombre d’hectares, une logique qui favorise la surexploitation et qui empêche la prise en compte du critère de la qualité. Pendant que les gros groupes amassent des millions d’euros, les petits exploitants sombrent dans une détresse humaine gravissime : 1 agriculteur se suicide tous les 2 jours en France… Les humains sont malheureux, les animaux sont maltraités et au final, mis à part les profiteurs du système, personne ne sort gagnant de ce fonctionnement qui repose entièrement sur les bases mortifères d’un capitalisme fou et du sacro-saint profit.
Rapport humain-animal : au coeur de la bifurcation écologique
Repenser entièrement le modèle existant n’est pas une mince affaire et demande à ce que chaque acteur y prenne sa part, mais malgré les obstacles et les difficultés, il est urgent de construire les bases d’un modèle de production et d’alimentation qui favorise le respect de l’environnement, le bien-être animal, et des conditions de travail dignes pour les millions de personnes qui oeuvrent dans ces domaines. La PAC a dans cet objectif un rôle majeur, via une meilleure redistribution des subventions, et en favorisant des aides fléchées vers celles et ceux qui développent une agriculture et des méthodes d’élevage respectueuses des animaux, locales, paysannes, et durables. Il en est de même pour les populations marines, victimes de la pollution humaine et de la surpêche. La surexploitation des ressources halieutiques entraîne une souffrance animale terrible et la disparition d’un nombre incalculable d’espèces, aboutissant à un bouleversement de l’équilibre des écosystèmes. Là aussi, l’Union européenne se doit d’œuvrer pour des règles strictes, de meilleurs contrôles dans la pêcherie, et doit mettre un terme à la mainmise des industriels qui pillent nos océans, au détriment des pêcheurs artisanaux. La victoire de Younous Omarjee contre l’infâme méthode de la pêche électrique est une belle avancée, et montre qu’il est possible de freiner la course à cette surexploitation.
Mieux réglementer le transport animal est aussi un chantier capital, et c’est là l’objectif du travail de Manuel Bompard, au sein de la commission d’enquête sur le transport animal, qui vient de terminer ses travaux et a mis en lumière les manquements criants et les améliorations urgentes à apporter dans ce domaine. En 2019, 1 618 275 545 ovins, bovins, porcins et volailles ont été transportés vivants à travers et hors de l’ Union européenne. Un chiffre qui donne le tournis, et qui symbolise bien la surexploitation et la surconsommation de viande dans lesquelles se complaît notre modèle actuel.
Enfin, si nous avons vu que l’Europe a un rôle à jouer dans cette bifurcation, les Etats ne sont pas en reste: il est urgent d’inscrire le droit des animaux dans les principes fondateurs. En France par exemple, la reconnaissance de la sensibilité animale a permis des progrès en matière d’abandon ou de maltraitance. Mais rien n’est fait pour combattre l’élevage intensif, dans lequel pourtant, des millions d’animaux souffrent.
La bifurcation écologique n’est plus une affaire de mots et de discours, mais est désormais dans l’attente urgente d’actions concrètes. Elle se caractérise en premier lieu par une planification à tous les échelons en faveur de la reconversion des métiers qui polluent ou dégradent la vie animale vers les nouveaux métiers d’avenir que permet la transition écologique. Et dans ce changement de paradigme mondial, chacun peut y avoir une place, via des emplois de qualité, mieux rémunérés et porteurs de sens. Il faut repenser le fléchage de toutes les subventions, qu’elles soient nationales ou européennes, pour favoriser les acteurs de la transition, modifier nos habitudes de consommation pour tendre vers une sobriété qu’il ne faut plus penser comme une peine à subir mais comme un vecteur de progrès. Enfin, il faut repenser la relation entre les humains et les animaux afin de tendre vers une harmonie du vivant dans lequel l’humain, l’animal et la nature ont chacun un rôle à jouer.