L’accord d’investissement entre la Chine et l’Union européenne, intervenu entre deux réveillons et dans le dos d’une opinion publique entièrement préoccupée par la pandémie de Covid-19, est entaché de quatre fautes lourdes.
Cette tribune a initialement était publiée le 21 janvier 2021 sur le site de “Les Échos”
Première faute lourde : nos « valeurs européennes » sont foulées aux pieds. Le discours de politique extérieure et commerciale de l’Europe, officiellement « fondée sur les valeurs des droits de l’homme et de l’Etat de droit », est à géométrie variable. Des précédents fâcheux l’ont déjà montré. On pense à la conclusion en 2019 d’un accord de libre-échange avec le Brésil, que l’oppression des minorités ethniques et sexuelles indiffèrent autant que l’Accord de Paris et la déforestation de l’Amazonie.
En adoptant la même attitude face à la Chine, les dirigeants européens prouvent d’une façon encore plus spectaculaire qu’à leurs yeux les droits de l’homme ne sont qu’un accessoire purement rhétorique. Ils viennent de trouver un nouveau porte-voix à leur cynisme mercantile : le gouvernement français. Son ministre du Commerce extérieur, Franck Riester, a déclaré que l’Europe n’attendra même pas que la Chine tienne ses engagements sur l’adoption de plusieurs conventions de l’Organisation internationale du travail – dont celle sur l’interdiction du travail forcé – pour ratifier l’accord !
Une agression contre l’emploi européen
Deuxième faute lourde : cet accord est une agression contre l’emploi européen. Cet « accord global pour l’investissement » prévoit des concessions pour sécuriser les entreprises européennes établies en Chine. Ainsi, celles-ci ne seront plus obligées de céder 50 % de leur capital ou de transférer leurs technologies aux Chinois.
Mais ces « avancées » reposent sur le présupposé que Pékin respectera ses engagements ! Or Pékin ne respecte pas ses engagements, y compris économiques. Chacun sait que malgré son appartenance à l’OMC, la Chine est devenue maîtresse en espionnage industriel et en contrefaçon, dont elle produit 90 % des 500 milliards du chiffre d’affaires annuel.
Si, par exception à ces infractions, nos entreprises étaient traitées dans le plein respect des
engagements de la Chine, cet accord encouragera les délocalisations. Il se traduira par des dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires en Europe. Au lieu de consolider
« l’autonomie stratégique européenne » dont se gargarise la Commission, il aggravera notre dépendance à la chaîne de valeur made in China – et officialisera, au passage, l’incorporation du travail forcé à notre propre production !
Apurer la dette de la Chine avec notre argent
Troisième faute lourde : la méconnaissance des intentions réelles de la Chine. Les Européens n’ont pas compris que cet accord d’investissement est une occasion inespérée pour l’économie chinoise, lestée de créances douteuses, d’apurer ses dettes avec notre argent, notamment celui épargné pendant les confinements. Quand l’Europe devra relancer l’économie après le Covid, au besoin par la mobilisation de son épargne, elle aura la surprise de constater qu’elle aussi a été délocalisée !
Quatrième faute lourde : le timing. En 2020, le monde apprenait, stupéfait, que des centaines de milliers, voire des millions de Chinois ouïgours avaient été réduits en esclavage au seul motif qu’ils étaient musulmans. Il assistait impuissant à la mise à bas de la démocratie hong-kongaise. Il subissait la catastrophe d’une pandémie ayant échappé à tout contrôle à cause du silence de Pékin durant les premières semaines de propagation. Et en novembre dernier, évènement moins relaté, le Parti communiste chinois décidait d’accroître le contrôle de l’Etat sur l’économie, la société et les individus dans une mesure jamais vue depuis Mao.
Mais rien de tout cela n’a troublé nos dirigeants, qui ont choisi de terminer 2020 en offrant à la Chine une immense victoire stratégique. Nous ne sortirons pas indemnes d’une telle inconséquence, sauf si nous revenons collectivement à la raison et obtenons le rejet de cet accord. Son examen étant annoncé pour le premier semestre 2022, sous présidence française de l’Union, nul doute que ce sujet sera à l’affiche de la campagne présidentielle.