La proposition d’autorité éthique européenne présentée par la Commission européenne six mois après le scandale du Qatargate est un véritable affront. Depuis plusieurs années, la délégation de la France insoumise au Parlement européen mène la bataille pour une autorité éthique européenne indépendante, commune à toutes les institutions et agences européennes et dotée de pouvoirs d’enquête et de sanctions. A des années-lumière de cette ambition, la Commission européenne propose de mettre en place un groupe de travail facultatif pour rédiger une simple charte de bonne conduite. Nous avons obtenu par un vote à l’ouverture de cette session plénière la rédaction d’une résolution du Parlement à la session plénière de juillet pour dénoncer l’irresponsabilité de la Commission et réaffirmer notre détermination à mettre en place une autorité éthique digne de ce nom.
Le mandat de l’organe inter-institutionnel proposé par la Commission européenne est très clair : “l’Autorité n’est pas compétente pour faire respecter les règles internes d’une partie à des cas individuels” (article 6 du projet de règlement). Le rôle de ce comité Théodule serait simplement de “promouvoir une culture commune d’éthique et de transparence” en élaborant “des normes minimales communes” aux différentes institutions. Alors que nous demandons une autorité unique et indépendante chargée du renforcement des règles, des contrôles et des sanctions, la Commission européenne propose un groupe de travail interinstitutionnel pour une harmonisation minimale des codes de conduite.
A ce vice principal s’ajoutent de nombreuses lacunes au regard des demandes exprimées par le Parlement européen dans son rapport de septembre 2021, puis dans sa résolution de février 2023. L’organisme d’éthique proposé par la Commission serait composé de membres issus des institutions et non d’experts indépendants, et poursuivrait ainsi la pratique inefficace de l’autorégulation. Par ailleurs, il ne serait pas compétent vis-à-vis du personnel des institutions, mais seulement de leurs “membres” (commissaires, députés), laissant de côté l’immense majorité des fonctionnaires européens. Cet organisme n’aurait ni pouvoir d’enquête, ni pouvoir de sanction alors qu’il s’agit de deux éléments essentiels pour que cet organisme soit efficace et indépendant. Nous déplorons également le recours à un “accord institutionnel” pour fonder cet organe, ce qui laisse à chaque institution européenne le choix d’en faire partie ou non. Enfin, le budget annoncé pour son fonctionnement est de 600 000 euros par an, ce qui serait totalement insuffisant pour remplir les tâches auxquelles le Parlement européen souhaite l’assigner.
Les institutions européennes sont aujourd’hui rongées par la culture de l’impunité et de l’opacité. La litanie des affaires de conflits d’intérêts et de pantouflage a atteint son paroxysme il y a six mois avec le scandale de corruption du Qatargate, l’arrestation de la vice-présidente du Parlement européen et la saisie de valises de billets destinées à acheter le silence de l’Union européenne sur les milliers de morts de la Coupe du monde. Cette affaire a révélé au grand public les lacunes béantes de l’Union européenne en matière d’intégrité, qui permettent à des intérêts privés de parasiter les institutions publiques et minent leur capacité à agir pour l’intérêt général. Les principaux suspects reviennent déjà dans l’hémicycle et pourtant rien n’a changé : les règles sont toujours laxistes, les contrôles presque inexistants et la proposition de la Commission est hors sujet.
Depuis 2019, nous proposons de créer l’autorité éthique par la modification des traités afin d’assurer la couverture obligatoire de toutes les institutions européennes. L’autorité devrait être capable d’ouvrir des enquêtes sur des potentielles violations des règles éthiques européennes, sur signalement mais aussi de sa propre initiative. Son champ d’action devrait lui permettre d’agir sur le plus large éventail d’infractions éthiques possibles, telles que les conflits d’intérêts, les portes-tournantes, les manquements aux règles de transparence, la réception de cadeaux portant atteinte aux règles d’indépendance ou encore les pratiques de lobbying abusives. L’autorité pourrait émettre des sanctions et en suivre la mise en œuvre. Afin de garantir son impartialité, elle serait essentiellement composée d’experts indépendants. Enfin, pour assurer ces tâches, nous demandons l’attribution d’un budget conséquent et de moyens humains et techniques adéquats.
L’incurie de la Commission européenne avec sa contre-proposition catastrophique ne peut que renforcer la défiance compréhensible de nombreux citoyens envers l’Union européenne. Nous en exigeons le retrait et demandons à repartir sur une proposition d’organisme d’éthique indépendant tel que demandé par le Parlement européen, pour en finir enfin avec la culture de l’impunité et des combines.
Manon Aubry, députée européenne France insoumise et co-présidente du groupe de la Gauche, négociatrice pour l’avis de la commission des affaires juridiques sur l’organisme d’éthique européen
Leïla Chaibi, députée européenne présidente de la délégation France insoumise négociatrice au sein de la commission des affaires constitutionnelles sur l’organisme d’éthique européen.
Photo à la Une : Hier, lundi 12 juin 2023, vote de la résolution du Parlement européen pour dénoncer la proposition de la Commission européenne sur la création d’une autorité éthique indépendante : 226 MEPs pour, 126 contre.